actualités >
/ 24.10.25

Le Sens de la Ville en voyage à Vienne !

24.10.25

L'équipe du Sens de la Ville devant le projet d'habitat coopératif Sargfabrik.
 

Comme chaque année, l’équipe du Sens de la Ville s’est délocalisée pour explorer un nouveau territoire et pour sortir la tête du guidon. Et parce qu’on s’apprête à fêter nos dix ans, nous avons fait un voyage à la hauteur de l’événement : nous avons traversé les frontières, profitant des derniers jours de la ligne de train de nuit Paris-Vienne (snif) pour nous rendre dans la capitale autrichienne, aussi capitale du logement social et coopératif. Un séjour riche et vivifiant, placé donc sous le signe des politiques d’habitat et de l’aménagement inclusif (... et aussi, il faut bien le dire, du schnitzel et des pommes de terre !). 

 

« Vienne la rouge » 

Cet héritage est ancré dans la mythologie de « Vienne la rouge », un surnom tiré de l’ambitieuse politique de construction de logements sociaux portée par le parti social démocrate de 1918 à 1934. Nous nous sommes immédiatement mis dans le bain en débutant ce périple par la visite de l'immeuble le plus emblématique de cette période : le Karl-Marx-Hof, conçu comme un « palais du prolétariat », avec une statue en bronze à la gloire des travailleurs et travailleuses trônant au milieu du parc. L’ensemble du complexe s'étire sur 1,1 km et comptait à son inauguration environ 5000 habitant·es pour 1000 logements. 

 

La plupart des appartements faisaient 45 m2 et se composaient d’une cuisine, une chambre et des toilettes, mais pas de salle de bain. Une typologie pensée pour accueillir des familles de quatre à cinq personnes. Contrairement aux immeubles construits sous l’Empire, beaucoup d'appartements avaient un balcon ; et des espaces communs offraient le confort moderne : bains douches, laverie et crèche. 

 

A l’époque de sa construction, l’ensemble était situé à proximité immédiate d’un quartier bourgeois. L’idée était de favoriser la mixité à l’échelle de la ville mais aussi au sein de l’immeuble, puisqu’une très large partie de la population était éligible à ces logements. 

 

Une politique qui continue

Cette période marque encore aujourd’hui le narratif des programmes du SPÖ (Parti social-démocrate d’Autriche) qui gouverne la ville depuis 1919 - à l’exception des périodes austro-fasciste (1934-1938) et nazie (1938-1945). La politique très protectrice du logement se remarque sur les murs de la ville, qui portent des plaques indiquant « Gemeindewohnungen » (« logements communaux ») et la date de leur construction. Aujourd’hui, 62% de la population de la capitale vit dans des logements sociaux ; et malgré quelques limites dans le système d’attribution, excluant les personnes les plus précaires, la production de logements sociaux ne tarit pas.

 

Sargfabrik : une usine à cercueils pleine de vie

Une autre tradition sociétale profondément ancrée vient compléter l’offre institutionnalisée de logements abordables : l’habitat participatif sous forme d’habitat groupé, les « Baugruppen ». Nous avons pu visiter la Sargfabrik, construite en lieu et place d’une usine de cercueils à la fin des années 1980. De l’usine, il ne reste aujourd’hui que la cheminée, dont la fonction est surtout mémorielle. Mais l’esprit industriel a été maintenu dans l’architecture, comme nous l’a expliqué Gerda Hes, l’une des fondatrices du lieu. Elle nous a ouvert les portes des espaces communs : le « public bath house », sortes de thermes avec un bassin de nage, un jacuzzi et salle chaude ; une buanderie collective ; un restaurant dont le personnel est en insertion ; une salle de concert, une bibliothèque, un studio d’enregistrement… 

 

Nous avons poursuivi dans le jardin partagé sur le toit, d’où l’on peut contempler le chemin parcouru. Aux origines du projet, une dizaine de personnes qui s'opposent à la logique de la propriété privée. Ils montent une association pour acheter une usine dans un quartier « dévasté et enclavé ». Au lancement du chantier, le groupe s’est élargi et compte 35 personnes. Chaque habitant·e achète des parts de l'association pour 1000 euros du mètre carré, un apport qui est récupéré en cas de déménagement. Les appartements mis à disposition à vie sont loués à un prix inférieur au marché libre, mais au-dessus du logement social. Par ailleurs, le chantier a bénéficié du soutien de la municipalité via un promoteur coopératif qui a touché des subventions. Le reste est financé par deux emprunts : 25 ans pour le terrain et 35 ans pour la construction. L’espace culturel - dont nous avons profité en fin de journée lors d’un concert - bénéficie de subventions de la ville à hauteur de 200 000 euros par an. 

 

Gerda Hes qualifie avec une certaine dérision la communauté, qui compte aujourd’hui environ 200 habitant·es, comme une « élite intellectuelle qui n’a pas fait carrière à cause du temps consacré à la gestion du projet. » En effet, habiter à la Sargfabrik, cela signifie s’investir dans la gestion du lieu et prendre le temps de décider ensemble. Plusieurs groupes thématiques se rassemblent régulièrement en AG, mais pour certaines tâches trop techniques ou que personne ne veut faire, des professionnel·les interviennent. 12 personnes sont employées pour la gestion et l’entretien du complexe. Les thermes, quant à eux,  fonctionnent sans employés et sont accessibles 24/24 à un public d’adhérents qui ne se limite pas aux membres de la communauté. Enfin, deux appartements sont dédiés à l'accueil d’invités et certains appartements sont mis à disposition, avec des contrats de location à court terme (2 ou 3 ans) pour des migrants, dans le cadre d’un programme qui comprend un système de parrainage par des habitant·es volontaires.

 

Face au succès - plus de 1000 dossiers sont en attente - un second immeuble a été acheté en 1998. Le premier prêt est aujourd’hui totalement remboursé et le second est sur le point de l’être. Le prochain chantier qui s’ouvre pour la communauté est celui de la prochaine rénovation d’ampleur…

 

Une politique de «Gender Planning »

Le deuxième jour de notre voyage a déroulé la thématique du logement avec la visite du quartier de Sonnwendviertel, dans le 10ème arrondissement. Notre guide, Julia Girardi-Hoog, sociologue de l’architecture et « Gender Planning Commissioner » à la direction de l’urbanisme de la ville, nous a présenté les dernières mesures inclusives mises en place dans ce quartier récent de 30 ha - dont 9 de parc - construit sur une friche ferroviaire. 

Nous nous sommes retrouvé·es devant un immeuble qui regroupe un centre médical ouvert 7/7 pour enfants et un espace d’accueil pour les femmes isolées et sans abris. Nous nous sommes ensuite dirigé·es vers un ensemble de logements sociaux modernes, dont les immeubles sont reliés par des passerelles qui convergent vers un étage où se trouve une piscine. « Les enfants, surtout ceux et celles qui viennent de pays qui ont un accès à la mer, doivent apprendre à nager », nous a expliqué notre guide. D’autres espaces partagés permettent de se réunir pour des fêtes anniversaires ou simplement pour favoriser la socialisation des jeunes filles. 

 

Les espaces publics, ouverts et accessibles, ont aussi été pensés dans cette optique. Ainsi, le football y est souvent interdit et le mobilier urbain est conçu pour que les adolescentes se sentent à l’aise. Par exemple, un grand hamac plutôt qu’un terrain de sport, ou bien des petites plateformes permettant de manger et boire ensemble sans aller au café, souvent trop cher. Pour les plus petits, de nombreux points de repos ludiques sont installés le long des voies de circulation permettant aux enfants et aux parents de faire des pauses sur le chemin de l’école. Les seniors aussi sont inclus puisqu’il existe un programme d’habitats partagés réservés aux femmes de plus de 50 ans qui répond à une vraie demande, dans la mesure où il intéresse tout type de profils. Au niveau des commerces, des « village houses » constitués de très petites cellules (environ 30 m2) attribuées par un jury permettent, grâce à des loyers accessibles, de varier la typologie.

Malgré l’absence de clôtures, la cohabitation avec les personnes sans-abris se passe bien, nous assure Julia : « étant donné que tous les espaces sont ouverts, même ceux des résidences privées, les regroupements sont rares ». 

 

Aspern Seestadt, quartier du quart d'heure

Le voyage se termine par la visite d’un quartier encore plus récent. Aspern Seestadt, qu’on pourrait presque qualifier de ville nouvelle étant donnée l’échelle de cette opération de 240 ha qui émerge autour d’un lac. Situé en périphérie à l’emplacement d’un ancien aéroport, son foncier entièrement maîtrisé par le secteur public a facilité le montage. Une liaison en métro permet d’atteindre le centre ville en moins de 30 minutes. À terme, 30 000 habitant·es vivront dans ce lieu planifié selon le principe de la ville du quart d’heure. 

 

La visite, guidée par Sebastian Zenz de la société Wien 3420 AG, a commencé dans un immeuble étonnant : un parking furtif dont la façade est constituée d’un mur où se logent un café et quelques bureaux. Sur le toit, des terrains de foot - et en sous-sol, une salle d’escalade. La mixité programmatique est la pierre angulaire du projet qui continue de se développer. Un projet d’habitat collaboratif est planifié pour chaque quartier. La ville productive côtoie les logements avec un hôtel d’entreprise, tandis que les industries plus lourdes sont situées plus en périphérie. Le trafic routier est concentré sur une grande voie en rocade et des petites dessertes intra-quartiers. Ici, pas de shopping mall, mais des allées commerciales dont les rez-de-chaussée sont gérés par un opérateur unique qui sous-loue à des commerçants sélectionnés selon les besoins. Et un immense groupe scolaire dont le parc s’ouvre aux habitant·es le week-end, face à une parcelle où est prévu un centre cultuel rassemblant 10 religions.

 

Merci Vienne pour ton accueil souriant, pour ces visites inspirantes, rafraîchissantes et ensoleillées ! Et merci à nos guides pour le temps qu’ils et elles nous ont accordé.

Les logements sociaux de Sonnwendviertel.
Aspern Seestadt, un quartier nouveau émerge autour d'un lac.
Karl-Marx-Hof, un ensemble de logements sociaux historique.
Les thermes de la Sargrfabrik ne sont pas réservés aux membres de l'association.
Aspern Seesdadt, un projet XXL en plein développement.
Aspern Seesdadt, quand la ville productive et le logement se côtoient de près.
Les micro-cellules commerciales de Sonnwendviertel.
A Sonnwendvierteles, des assises permettent aux parents et aux enfants de faire des pauses sur leurs trajets .